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CHAPITRE XVI. DE LA STRUCTURE DES ICHTHYODORULITHES

 

J'ai déjà fait valoir dans les premiers chapitres de ce volume les circonstances qui prouvent que les Ichthyodorulithes que l'on trouve principalement dans les terrains anciens, n'appartiennent pas, comme on le croyait auparavant, á des Siluroïdes ou á des Balistes ou á d'autres poissons osseux, mais bien á différens genres de poissons cartilagineux qui étaient armés de ces défenses formidables, comme les Chimères, les Cestracions, les Trygons et les Myliobates de nos jours.

L'étude microscopique que j'ai faite dans ces derniers temps des différentes parties du squelette des poissons fossiles, confirme pleinement les conclusions que j'avais tirées de la forme extérieure, á tel point qu'il est impossible de confondre la structure microscopique des rayons des poissons cartilagineux et des Sclérodermes avec celle des rayons des Siluroïdes. Il est digne de remarque en effet que les Sclérodermes, qui se rapprochent déjà par tant d'autres points de leur organisation des poissons cartilagineux, ont aussi des piquans de la même structure fondamentale que les véritables Chondroptérygiens. Par leur structure, ces piquans sont, nous n'hésitons pas á le dire, de véritables dents implantées dans la peau extérieure, au lieu d’ètre enfoncées dans la muqueuse de la bouche. La structure intime de ces piquans ne diffère en rien de celle des dents en général. On y trouve tantôt une cavité pulpaire qui occupe le centre du piquant, et qui est entourée d'une dentine solide dans laquelle les tubes calcifères dendritiques rayonnent directement vers la surface, tantôt une cavité unique entourée d'une dentine plissée et traversée par des canaux médullaires secondaires, contournés de mille manières. Souvent aussi il n'existe point de cavité principale, et l'on ne remarque que des canaux médullaires isolés, entourés de leurs systèmes de tubes calcifères et s'anastomosant entre eux en formant des réseaux très-serrés. Mais dans tous les cas, les tubes calcifères que l'on trouve dans la dentine des piquans des Chondroptérygiens ont un aspect particulier qui permet de les distinguer assez facilement des piquans de Sclérodermes. Dans les Chondroptérygiens, les tubes sont très-fins, très-nettement et très-délicatement ramifiés; tandis que les piquans des Sclérodermes ont des tubes plus gros, plus parallèles et moins ramifiés. On ne trouve jamais dans tous ces piquans qu'une seule substance, la dentine; l'apparence extérieure qui pourrait faire croire á une couche d'émail recouvrant la surface extérieure, est trompeuse; ce n'est qu'une couche plus dense de la dentine, dans laquelle les canaux médullaires manquent.

Les rayons des Siluroïdes sont tous formés de véritable substance osseuse, parfaitement caractérisée par les corpuscules ramifiés qui s'y trouvent déposés en couches concentriques. Les dentelures que présentent ces rayons sont, comme on sait, tantôt immobiles, formant corps avec le piquant lui-même, tantôt mobiles et articulées sur le piquant. Dans le premier cas . elles présentent la même substance osseuse que le piquant lui-même; dans le second cas, au contraire, ce sont de véritables petites dents á cavité pulpaire unique et á tubes calcifères parallèles et rayonnans, implantées sur le piquant osseux comme les dents sur la mâchoire. Les genres Hypostoma et Collichthys présentent cette singulière structure et prouvent par là même que les différences qu'on a voulu établir entre un squelette paucier ou externe et un squelette intérieur ou intestinal, sont dénuées de tout fondement.

J'ai fait figurer dans la planche A de ce volume plusieurs coupes de rayons de poissons vivans de Tordre des Cartilagineux, afin de faciliter la comparaison de leur structure avec celle des fossiles. Je regrette de n'avoir pu me procurer des piquans d'une espèce vivante de Myliobates. Tous les exemplaires que j'avais sous la main étaient dépourvus de leurs piquans, les pêcheurs de la Méditerranée ayant l’habitude de les arracher au moment où ils retirent le poisson de l'eau. Les genres Spinax, Centrina et Trygon, dont j'ai pu faire une étude microscopique, n'offrent pas, il est vrai, une bien grande analogie avec les poissons fossiles dont les rayons nous occupent ici, mais on verra pourtant qu'ils n'en sont pas très-éloignés quant á leur structure intime.

Les genres Spinax et Centrina présentent une cavité pulpaire unique qui occupe le centre du piquant. La dentine qui entoure cette cavité est compacte et déposée, á ce qu'il parait, en couches concentriques autour de la cavité; au moins voit-on des traces assez apparentes de couches dans le genre Acanthias. Les tubes calcifères sont très-fins et ressemblent, á s'y méprendre, á ce type de ramification des vaisseaux capillaires que l'on trouve dans les membranes séreuses. Ce sont des arbres á tige peu élevée dont les ramifications se dirigent dans tous les sens. Dans le genre Acanthias, les contours des tubes sont si nettement accusés qu'on peut les suivre jusque dans leurs dernières ramifications, quoique ces dernières soient bien fines; dans le genre Centrina, les ramifications sont moins distinctes, plus veloutées, quoique les tiges dont elles se détachent, soient plus grosses et en moins grand nombre que dans les Acanthias. La fig. 3 de Tab. A montre une coupe transversale du Spinax niger Bonap., et fig. 4 une coupe semblable de Centrina Salviani Risso.

Le genre Trygon présente un autre type de conformation. On n'y trouve pas de cavité centrale unique, mais bien une quantité de canaux médullaires qui en montant vers le sommet du piquant, s'anastomosent entre eux. Les dentelures dont ces piquans sont hérissés, sont une continuation directe de la substance dentaire, et l'on y trouve les dernières ramifications des canaux médullaires. Les tubes calcifères qui rayonnent des canaux sont plus gros que ceux des genres précédens et beaucoup plus abondans; ils forment des systèmes indépendans autour des canaux, séparés par des lisières assez distinctes. Une coupe transversale d'un piquant semblable, telle qu'elle est figurée dans fig. 2 de Tab. A, ne saurait être distinguée de la coupe d'une dent de Myliobates ou de tout autre poisson á canaux médullaires resserrés. La fig. 1 de Tab. A montre une coupe longitudinale du piquant.