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I. PARTIE DES ICHTHYODORULITHES, RAYONS OSSEUX QUI SE TROUVENT AUX NAGEOIRES DE CERTAINS PLACOIDES.
CHAPITRE I. DES ICHTHYODORULITHES EN GÉNÉRAL
MM. Buckland et de la Bèche ont désigné sous le nom d’Ichthyodorulithes desrayons de nageoires que l'on trouve fossiles dans tous les terrains, et dont la détermination a long-temps embarrassé les paléontologues. Dans les ouvrages géologiques, ils sont généralement cités sous le nom de défenses de Balistes ou de Silures,- on les a même quelquefois pris pour des mâchoires d'animaux inconnus. Parl'étude comparative que j'en ai faite, je suis parvenu á découvrir leur véritablenature, et á reconnaître que ce sont réellement des rayons osseux de nageoires,semblables aux piquans qu'offrent les dorsales de différens poissons cartilagineux,mais appartenant la plupart á de nombreux genres qui n'existent plus. MM. Buckland et de la Bèche, qui sont arrivés de leur côté á des résultats semblables, enont décrit une douzaine d'espèces dans un Mémoire inédit qu'ils ont bien voulu mettreà ma disposition, ainsi que les matériaux qui leur ont servi á ce travail. Cette communication bienveillante a puissamment contribué á compléter cette partie de mesrecherches.
Les rayons osseux que l'on remarque aux nageoires de plusieurs genres de poissonscartilagineux vivans, se distinguent tellement des rayons des nageoires des poissonsosseux, qu'on a lieu d’ètre surpris que l'analogie qu'ils présentent avec les rayonsfossiles en question ait pu être si long-temps méconnue, et que ceux-ci, d'un autrecôté, aient pu être envisagés comme des rayons de poissons osseux j et passer pourdes défenses semblables aux formidables épines de certains Balistes et de certainsSilures. En effet, quelle que soit la forme des rayons de nageoires des poissonsosseux, ils présentent toujours á leur base deux apophyses articulaires, par lesquellesils sont réunis aux osselets interapopliysaires ou aux apophyses épineuses qui les portent. L'on distingue constamment aussi á leur base les deux branches dont ils secomposent chacun; tandis que les épines des poissons cartilagineux, bien que symmétriques, sont toujours d'une seule pièce, et n'ont rien á leur base qui ressembleà une face articulaire; au contraire, la partie inférieure de ces rayons, qui est cachéedans les chairs, est taillée en biseau et se termine en une pointe obtuse, qui n'estjamais articulée en ginglyme avec les os de la colonne vertébrale, mais dont la facepostérieure et inférieure présente une rainure plus ou moins profonde, qui se prolonge souvent dans l'intérieur du rayon jusque vers son extrémité.
Par leur contexture, ces rayons diffèrent considérablement des autres parties dusquelette des poissons cartilagineux : ils sont réellement fibreux et osseux, commeles os des poissons ordinaires, et n'ont ni l'aspect granuleux du squelette des Squaleset des Raies, ni la mollesse et la flexibilité des rayons de leurs nageoires. Aussi,l'analyse chimique que M. Connell a faite des grands Ichthyodorulithes du calcaire deBurdie-House (v. Trans. of the Roy. Soc. of Edinb. Tom. XIII.), qui lui ont offertla même composition que les os du Brochet (Esox Lucius) loin d'infirmer, commeon pourrait le croire, l'analogie que j'ai établie entre ces fossiles et les épines despoissons cartilagineux vivans, me paraît en être réellement une confirmation. Cependant, pour compléter cette démonstration il serait á désirer qu'un chimiste habilepubliât aussi l'analyse des rayons de quelque espèce vivante, analyse qui, je crois,n'a point encore été faite.
Les genres vivans de Placoides qui ont des rayons osseux á leurs nageoires, ne sontpas très-nombreux. Ce sont les Cestracion, Centrina, Spinax, Chimaera, Trygon,Myliobates et Cephaloptera, sur les rayons desquels je vais donner quelques détails,afin de faire ressortir les rapports plus ou moins frappans qu'ils ont avec ceux que l'onne connaît que fossiles. Je ferai d'abord remarquer que les piquans des genres de lafamille des Raies ont ce caractère commun, qu'ils sont déprimés et plus ou moinsaplatis; et que c'est á leurs bords extérieurs qu'ils sont dentelés. Telles sont les épinesdes Trygon, des Myliobates et des Cephaloptera. Dans ces genres, en outre, iln'y a d'épines que sur un point du dos, bien que dans quelques espèces on en observeplusieurs l'une sous l'autre. Comme on connaît plusieurs espèces fossiles de Trygon,très-bien conservées, et les dents et les rayons de plusieurs Myliobates qui ressemblent beaucoup aux espèces vivantes, je renvoie la description détaillée de ces rayonsaux chapitres qui traiteront de ces genres. Je ferai seulement remarquer en passant,qu'il existe aussi des rayons fossiles de la famille des Raies, constituant des genresparticuliers entièrement éteints, et qui remontent jusqu’à l'époque de la dépositionde la houille.
Dans les Squales et les Chimères, au contraire, ces épines sont plus ou moins comprimées; et lorsqu'il existe des dents á leurs bords, c'est á ceux de la face postérieurequ'elles se trouvent.
Dans le genre Chimaera, il n'y a que la dorsale antérieure qui ait un rayon épineux. Comme on ne possède point encore de bonne figure d'un poisson de ce genre,j'ai fait représenter le Ch. monstrosa vol. 3, tab. C. Son épine dorsale (fig. 2, 3 et 4)est plus longue que les autres rayons de la nageoire; elle est large á sa base, fortement conprimée, et se termine en une pointe acérée qui est légèrement arquée enarrière; ses faces latérales sont planes et parfaitement lisses, sa face antérieure l'estégalement, ensorte que les bords antérieurs sont á angle droit. Du milieu de la faceantérieure s’élève une quille tranchante et très-saillante, qui s'étend tout le long del'épine. Sa face postérieure est concave, et les bords qui la cernent sont armés dedents acérées, droites, dont la pointe se dirige en bas. Ces dents sont plus petites ál'extrémité du rayon, mais deviennent successivement plus grandes á sa partie inférieure, á mesure qu'il croît. Sa partie inférieure, recouverte par la peau, est tailléed'arrière en avant en biseau arrondi, et sillonnée d'une profonde rainure qui se prolonge dans l'intérieur du rayon et le rend creux. La fig. 2 représente ce rayon de grandeur naturelle, en profil; la fig. 3, par sa face postérieure; la fig. 4 par sa face antérieure, et la fig. 5 en donne une coupe transversale. Chez les mâles, il y a sur le milieude la tète un second rayon osseux (fig. 6 et 7), d'une forme particulière, fortementarqué en avant, et dont la pointe est hérissée sur ses côtés et á sa face inférieure depetits piquans semblables á des dents de Raies. La base de ce rayon est dilatée enforme de disque, et repose sur les os du crâne. La fig. 6 le représente en profil, etla fig. 7, par sa face inférieure. En avant des ventrales se voit aussi un rayon osseux^court, dont le bord antérieur est armé de crochets très-pointus, et dont la pointe estdirigée en haut (fig. 8). En arrière de ces mêmes nageoires est un autre rayon osseuxtrès-allongé (fig. 9), qui se divise en trois branches, dont la moyenne est lisse,tandis que les deux latérales ont la face interne et toute l'extrémité couvertes de petits piquans ayant leur pointe dirigée en avant. Ces rayons osseux en avant et enarrière des ventrales n'existent non plus que chez les mâles. Quoique l'on connaissemaintenant plusieurs espèces de Chimères fossiles, dont la découverte est due áM. Buckland, on n'a cependant encore rien rencontré d'analogue á ces rayons bizarres de la tète et des ventrales; on n'a trouvé jusqu'ici que des dents et des épinesdorsales de ce genre, appartenante des espèces gigantesques qui vivaient á l'époquede la déposition de la craie et des terrains jurassiques supérieurs.
Dans les genres Cestracion, Centrina et Spinax, il existe deux dorsales, qui ontchacune un rayon osseux. Dans le genre Cestracion j ces épines sont puissantes,placées en avant de chaque dorsale, et engagées à-peu-près dans les deux tiers deleur longueur; elles sont triangulaires, très-robustes, droites, aigues, arrondies enavant, planes á leur face postérieure, et plus larges á la base, qui s'amincit successivement. C'est de ces rayons que se rapprochent le plus les nombreux Ichthyodorulithes que l'on trouve dans les terrains secondaires et de transition. Dans le genreCentrina, les épines dorsales sont également très-épaisses, arrondies sur les côtés età leur face antérieure, et concaves á leur face postérieure; elles sont entièrementcachées dans un pli de la peau, qui s’élève jusqu’à l'extrémité antérieure des nageoires. Celle de la dorsale antérieure, qui est la plus grande, est parfaitementdroite et inclinée en avant; celle de la dorsale postérieure est faiblement arquée etinclinée en arrière. Dans le genre Spinax, elles sont plus ou moins comprimées,placées au bord antérieur des nageoires, libres á leur extrémité, tandis que leurbase est prise dans la membrane qui entoure les autres rayons.
Ce genre Spinax comprenant plusieurs espèces maintenant bien connues, grâcesaux descriptions détaillées et très-exactes que le Prince de Musignano en a publiées, jepense qu'il sera également utile de présenter encore quelques considérations sur lesdifférences que l'on remarque entre les épines des deux dorsales et sur les caractèresparticuliers que présentent les épines de chaque espèce. Cette étude nous servira deguide dans la détermination des espèces fossiles qui avaient aussi deux épines dorsales.Une première différence plus ou moins sensible que l'on remarque entre l'épine dela dorsale antérieure et celle de la dorsale postérieure, c'est que celle de la dorsaleantérieure est généralement plus courte, que celle de la dorsale postérieure. Lalargeur proportionelle de l'épine vers sa base constitue une seconde différence trèssensible dans quelques espèces, l'épine antérieure étant ordinairement plus large quecelle de la seconde dorsale. Enfin une troisième différence s'observe dans le degré decourbure des épines; celle de la dorsale antérieure est constamment plus roide, elleest même habituellement droite á son bord postérieur et ne présente une légèrecourbure qu'à son bord antérieur, tandis que celle de la dorsale postérieure est plus oumoins arquée dans toute sa longueur. Quant aux caractères spécifiques qu'offrent cesépines, abstraction faite des différences qui viennent d’être signalées entre celle dela dorsale antérieure et celle de la dorsale postérieure, il est á remarquer que lanature de leurs faces, le degré de convexité ou de dépression qu'elles présentent, laprofondeur du sillon postérieur ou des sillons latéraux, la saillie plus ou moins proéminente que forment les bords postérieurs ou l’arête antérieure, varient á peine dansles deux épines d'une même espèce, et présentent collectivement ou séparément debons caractères pour distinguer les espèces.
J'ai fait figurer le Spinax Blainvillei Risso, Tab. B, fig. i, afin de donner une justeidée de la position de ses épines vis-à-vis des autres rayons des nageoires. La fig. 2les représente séparées^ sous plusieurs faces. Dans la fig. 3 on voit de même celles duSpinax Acantlhas, et dans la fig. 4, celles du Spinax niger. Au chapitre Spinax,dont il existe une grande espèce fossile de la craie, je les décrirai plus en détail.