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CHAPITRE XXVIIl. DU GENRE LAMNA Cuv.

Ce genre tel qu'il fut circonscrit par Cuvier, dans le Règne animal, avait pour type le Squale nez (Lamna cornubica). «Les Lamies ou Touilles, dit Cuvier, ne diffèrent des Requins (Carcharias) que par leur museau pyramidal, sous la base duquel sont les narines, et parce que leurs trous des branchies sont tous en avant des pectorales.» Cette diagnose, suffisante lorsqu'on ne connaissait que quelques espèces de ce type a du nécessairement être circonscrite d'une manière beaucoup plus précise á mesure que le nombre des espèces s'est accru, et aujourd'hui les Lamies de Cuvier forment une nombreuse tribu, dans laquelle on a distingué plusieurs genres très-nettement limités. C'est la dentition qui est devenue le principal critère des nouvelles coupes qui ont été faites. Nous avons vu en effet que les Otodus et les Oxyrhina, qui tous deux ont été défalqués du genre Lamna, se caractérisent l'un et l'autre par la forme de leurs dents, et le Carcharias Lamia, dont Smith a fait le type du genre Carcharodon était également rangé par Cuvier dans son genre Lamna.

Le prince de Canino, ainsi que MM. Müller et Henle, font du genre Lamna de Cuvier une famille á part (Lamnini Bonap. Lamnae Müll. et H.). Cette famille comprend les quatre genres Lamna Cuv., Oxyrhina Agass., Carcharodon Smith et Selache Cuv. Les caractères sur lesquels cette famille est établie sont tous empruntés á la forme extérieure, et le paléontologiste voit avec regret qu'il n'est tenu aucun compte ni du squelette ni de la dentition (Voici la diagnose que MM. Müller et Henle donnent de la famille des Lamnae: Ouvertures branchiales grandes, situées toutes en avant des pectorales. Fente des paupières arrondie. La seconde dorsale et l'anale petites, d'égales dimensions, opposées. Des fossettes caudales distinctes. Caudale semi-lunaire. Une carène de chaque côté de, la queue. Events très-petits. (Systematische Beschreibung der Plagiostomen, pag. 66). Or, par une coïncidence remarquable, ces quatre genres ont une dentition tellement dissemblable, qu'on ne saurait les confondre, tandis que le genre Odontaspis, qui se trouve reporté dans une autre famille (La famille des Odontaspides, formée uniquement par le genre Odontaspis (Triglochis M. et H.), est caractérisée de la manière suivante par MM. Müller et Henle: Ouvertures branchiales grandes, toutes situées en avant des pectorales. Events très-petits. Seconde dorsale et anale grandes. Lobe supérieur de la caudale allongé comme dans les Carcharias. Fossette caudale indistincte ou manquant complètement. Les carènes de la queue des Lamies manquent. (Systematische Beschreibung der Plagiostomen, p. 73), a des dents si semblables á celles des Lamna, qu'il est impossible jusqu'ici de les distinguer génériquement avec une entière certitude lorsqu'elles sont détachées.

Ce n'est pas á dire que nous nous élevions contre la valeur des caractères sur lesquels la famille des Lamies est établie, d'autant plus que l'étude microscopique ne nous a révélé aucune différence notable dans la structure de ces dents de forme si diverse (voy. plus bas). Mais par une conséquence nécessaire de cette circonscription, j'ai dû renoncer á séparer rigoureusement les dents fossiles de ces deux genres, dans la crainte de commettre des erreurs trop nombreuses, quelque réels que soient d'ailleurs les caractères génériques et de famille des animaux complets.

Cependant en prenant pour type du genre Lamna le L. cornubica Cuv. (Tab. G, fig. 3a, .3b, 3c et 3 d), et pour type du genre Odontaspis, l’Odont. ferox Agass. (Tab. G, fig. 1 et 1a, 1b, 1c et 1d), on peut signaler quelques différences assez constantes, qui nous serviront de guide dans l'arrangement des espèces. Les dents de Lamna sont plates et se rapprochent par leur forme des dents d'Otodus, dont elles différent cependant par leur moindre largeur et par leurs cônes latéraux beaucoup plus petits. Les dents à' Odontaspis, au contraire, sont plus cylindriques, plus tordues, et ont des cônes latéraux plus longs et plus pointus. Le nombre de ces cônes est variable; l’Odontaspis taurus n'en a ordinairement qu'un de chaque côté, tandis que l’Odontaspis ferox en a ordinairement deux, quelquefois même trois; mais les variations qui s'observent á cet égard dans les mâchoires d'un même poisson, ne sont point faites pour inspirer une bien grande confiance en la valeur de ces dentelons, pour la détermination générique. La présence de quatre dents plus petites que les autres á la mâchoire supérieure, entre la seconde et la troisième grande dent, telles qu'on les observe dans la mâchoire de l’Odontaspis ferox (Tab. G, fig. 1), n'est pas non plus un caractère générique, comme je l'avais cru d'abord, car il n'est propre qu'à cette seule espèce. Dans l’Odontaspis taurus, il n'y en a qu'un ou deux, comme dans le Lamna cornubica.

J'envisage néanmoins comme devant rentrer dans le genre Lamna tel qu'il peut être circonscrit ici, toutes les dents étroites pourvues de petits mamelons latéraux; je me suis borné à mettre le nom d'Odontaspis en parenthèse, lorsque la dent que je décris se rapproche plus de l'une ou de l'autre des espèces d'Odontaspis que de celle du Lamna cornubica.

Il n'est pas difficile de distinguer le genre Lamna du genre Oxyrhina, lorsque les dents sont bien conservées, attendu que les dents de ce dernier sont dépourvues de bourrelets latéraux, et ce n'est que lorsque la racine manque qu'il peut exister des doutes sur le genre. Les passages sont plus insensibles entre les Otodus et les Lamna, et ici on rencontre certaines espèces qui se trouvent réellement sur les limites des deux genres telles que le Lamna compressa ou l’Otodus appendiculatus.

Enfin je réunis ici sous le nom de Lamna un troisième type de dents qui probablement devront former un genre á part, que j'ai désigné sous le nom de Sphenodus. Elles ne se trouvent que dans les terrains jurassiques et dans les dépôts inférieurs de la craie; mais comme je n'en ai point encore rencontré de complètes, je n'ai point voulu les séparer génériquement, afin de ne pas augmenter les difficultés pour ceux qui ne font point une étude spéciale des dents. On ne saurait contester á ces dents de Lamies jurassiques un aspect particulier qui résulte de leur forme allongée et de leurs bords tranchans. Leur structure microscopique, sans être bien différente de celle des Odontaspis, a cependant cela de particulier, que leur émail est mieux séparé de la dentine que dans toutes les autres dents á dentine solide.

Il serait inutile de rattacher des considérations générales á un groupe aussi peu précis que l'est notre genre Lamna. Tout ce qu'on peut dire, c'est que l'apparition des dents du type du L. cornubica ne remonte pas au-delà des couches de la craie et du grès vert, que celles du type des Odontaspis sont de la même époque, et que les deux types ont eu pour avant-coureurs dans l'époque jurassique, les Lamies subulées, que nous désignons sous le nom de Sphenodus.